Les Sandales En Pneu - Grand Format

" Car il avait bien ses racines, de longues et complexes racines. Qui n'accrochaient aucun espace mais flottaient dans le temps seulement, comme celles de ces plantes volages que l'on appelle " filles de l'air ", et que l'on pend dans un buisson, sous la tonnelle ou sur de simples fils de fer et qui prospèrent, sans sol, de la poussière, de la pluie, du vent. Ces pluies, ce vent, ces poussières, ses racines à lui les avaient reçus en bien des terres, dont elles avaient bu les couleurs, les reflets, les chants, mais sans s'y enfoncer jamais. Aussi, ne les avait-il jamais ni perdues ni coupées, et les déployait-il toujours, libres dans l'air du temps présent et du passé toujours présent, dont il faisait son suc et son futur et ses fleurs. " (fille de l'air) " Tala-Rana. Derrière le mot barbare, toute une époque, en quelques jours. Que de découvertes ! Que de douceur et de brutalité, d'angoisse et de sérénité, de beauté, de médiocre laideur, de malheur et de joie pure dans le souvenir de ces peu de jours-là ! Tala-Rana. La superbe solennité des cèdres et la grandeur des sommets, et sous les pierres le grouillement ténébreux des scorpions ; la déambulation tranquille des singes autour de moi, et le regard expressif et grave - comme le reflet d'une question - de ces petits frères qui ne sourient jamais. Mais aussi et surtout, parce que le moment en était venu, l'agression merveilleuse et trouble du charme féminin le plus violemment physique, et l'éveil tumultueux des sens. Et puis l'image apaisante et fragile du frais bonheur, comme sur un vitrail de chapelle perdue dans les bois. " (Tala-Rana) " Il alluma sa pipe et regarda Mara, assise comme lui sur la terrasse, doucement alanguie et buvant le soleil. Il se dit : c'est trop beau - et pourquoi moi, pourquoi à moi tout ça ? Il aurait voulu croire en quelque Bon Dieu, afin de le remercier éperdu de reconnaissance, pour l'avoir élu, lui, à tant de félicité, de préférence à ces millions, à ces milliards d'autres, ses frères. De le remercier monstrueux d'égoïsme, pour cette monstrueuse injustice... Il se leva, perplexe, se pencha pour un baiser en passant, une caresse à sa compagne, qui redressa la tête et sourit. Il fit le tour du jardin à pas lents. C'était le printemps ; et sur la pelouse sauvage qu'envahissaient les fleurs des champs, il marchait comme il eût fait en Paradis - étonné de ce répit, de tant de beauté donnée, de l'immense Question autour de lui. Il n'en revenait pas. Et comme il se rapprochait d'elle, il vit un grand éclair blanc, et d'un seul coup tomba. Mara s'est précipitée ; elle l'a retourné ; elle l'a appelé. Il a levé les yeux vers elle, il l'a regardée sans la voir : elle a compris qu'il n'en reviendrait pas. " (le ravi)