Portraits de juifs en temps de crise. - Stéréotypes et figuration dans le zeitroman (roman d'époque) de la République de Weimar

Vivre une époque de crise : c'est le sentiment confus, mais intense qu'ont éprouvé nombre d'Allemands durant la République de Weimar. Difficiles retours de guerre, bouleversements politiques, inflation galopante, effondrement des valeurs... Tout cela est certes représenté dans des théories et des idéologies, mais aussi figuré dans les romans contemporains - et peut-être surtout dans les romans qui prennent le temps lui-même pour objet ou pour toile de fond. Ce genre littéraire, le Zeitroman, le " roman d'époque ", fut pratiqué entre 1918 et 1933 par quelques grands auteurs (Lion Feuchtwanger, Hans Fallada, Ernst von Salomon, Ernst Ottwalt) et d'autres moins connus, dont ce fut parfois la seule incursion dans la littérature (la journaliste Gabriele Tergit, le jeune médecin Hans Keilson). Proche du journalisme, marqué par les techniques du montage et de la photographie, il se prête particulièrement à faire vivre dans des personnages cette conscience dépossédée de l'histoire et perdue dans un présent qui lui échappe. Parmi ces thèmes et ces figures de la crise, celles du juif et de l'antisémite sont particulièrement expressives des contradictions de l'époque, qui devait consacrer la réussite de l'assimilation des juifs, mais en marque paradoxalement les limites. La permanence du préjugé antijuif et la montée d'un nouvel antisémitisme, la difficulté à être un juif assimilé, s'inscrivent en creux dans des oeuvres qui décrivent à chaud la réalité confuse de la crise peut-être la plus aiguë de la modernité.