Revue française d'administration publique N° 103, 2002

De l'affaire du sang contaminé aux controverses sur le changement climatique, l'expansion de la demande d'expertise s'accompagne d'une méfiance systématique à l'égard des jugements exprimés. L'affirmation selon laquelle " les experts sont formels " suffisait autrefois à faire cesser tout débat. Aujourd'hui, l'administrateur est en proie aux affres de la prise de décision en situation d'incertitude et à la hantise du pénal. De leur côté, les experts, souvent divisés, se voient interpellés par les acteurs politiques et par la société civile. Quelles sont les différentes formes d'expertise et quelle est leur légitimité ? Quels liens se tissent entre l'administration et la production de savoirs ? Peut-on parler de crise de l'expertise ? Telles étaient quelques-unes des questions posées par Pierre Lascoumes en introduction à ce colloque organisé par l'ENA le 5 décembre 2002. Dans le cadre de trois tables rondes respectivement consacrées à la gestion des risques sanitaires, aux grands choix d'équipement et enfin à l'énergie, une série d'études et de témoignages analysent le processus de mobilisation de l'expertise et les rapports de celle-ci avec la décision dans la conduite des politiques publiques. L'évaluation par le Royaume-Uni du risque de transmission de la maladie de la vache folle puis la décision du maintien de l'embargo sur le bœuf britannique en 1999, l'appréciation du risque nucléaire et la protection radiologique illustrent notamment cette problématique. Dans ce numéro qui reprend et complète les contributions réunies à l'occasion du colloque, décideurs, ingénieurs et chercheurs abordent sans détour des questions telles que le statut de l'expert et son indépendance - qui n'est peut-être qu'un mythe - les difficultés de la décision politique, les ambiguïtés du principe de précaution et de la logique de socialisation des risques. Comme le souligne Dominique Wolton en conclusion, les experts sont confrontés au rapport entre intérêt général et logique de la controverse. A travers la capacité à organiser une expertise plurielle et à faire participer le citoyen au débat public, c'est bien la démocratie qui est enjeu.