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Il faut découvrir ce roman étonnant à mi-chemin entre policier sanglant et conte de fées -troublantes - que le Nouvel Attila, fidèle à son goût pour les beaux textes nous donne à savourer. Intrigue décapante, personnages fascinants, langue admirablement rendue par une traduction inspirée.
La couverture est un enchantement !
Voici un extrait éloquent de cette traduction qui vient de sortir au Mercure de France. Admirable roman, savoureuse traduction qui propulse enfin M.Sebastian à sa juste valeur dans l'espace francophone !
Nous avons reçu le service de presse des éditions Mercure de France. Notre impatience à découvrir le dernier texte inédit en français de Mihaïl Sebastian a été récompensée par une traduction de toute beauté qui épouse parfaitement le style de l'original. Voilà une initiative digne de cette maison d'édition dont le renom n'est évidemment pas usurpé. Son attention vigilante aux
textes étrangers de grande qualité s'est ici orientée avec intelligence vers un auteur encore insuffisamment connu et en tout état de cause insuffisamment servi par des traductions hâtives et peu inspirées. C'est malheureusement le lot commun des langues dites rares, le risque de l'amateurisme traductif ou du professionnalisme kilométrique. Avec cette "Ville aux acacias" la saveur de cet auteur est enfin sublimée par une version française sans faille. Félicitations aux éditrices et à la traductrice. A lire au plus vite pour un plaisir pur.
La pièce de Violin était inscrite dans la deuxième partie du programme. À l’entracte, Gélou le chercha dans les coulisses pour le saluer, il ne le trouva pas. Il se mêla donc aux gens dans le foyer, heureux d’entendre le bruit sourd des voix de femmes, les rires brefs, les appels. Dans un coin, autour d’une table il y avait foule devant un registre ouvert où l’on pouvait indiquer son nom pour recevoir en temps utile les programmes des prochains concerts.
Il s’en approcha. Il s’inscrivit puis parcourut sans y penser la page couverte de signatures et d’adresses. « Que de femmes ! » se dit-il. Il aurait aimé retenir un nom, y arrêter sa pensée. Quelle autre Adriana pouvait bien dissimuler parmi tous ces noms étrangers un appel inconnu ! Peut-être cette femme en noir regardant un tableau tout en serrant d’une main nerveuse une minuscule tabatière en argent ? Ou cette autre, légèrement appuyée à l’épaule d’un homme en smoking qui lui chuchotait quelque chose à l’oreille, quelque chose d’osé, d’intime probablement, car elle souriait et hochait la tête en refusant ? Ou n’importe laquelle de ces femmes jeunes, de ces femmes en bruissantes robes de soie, aux sourires lumineux, aux regards vagues, à la démarche indolente, aux mains blanches.
Ses pensées furent interrompues par une mélodie connue. Il ne se rappelait pas quand l’entracte s’était terminé, quand il avait regagné sa place, quand le concert avait repris… Et cette mélodie il la connaissait, il l’avait déjà écoutée… Intrigué, il ouvrit le programme : Cello Violin – Suite pour piano et petit orchestre, op.16 (première audition).
Et pourtant, il connaissait cette phrase simple que le piano répétait sans modulations, avec monotonie tandis que le motif musical passait de la viole au violon, ample, puissant. Il aurait voulu suivre le jeu des violons car il sentait que la ligne principale du morceau s’y déployait mais l’appel du piano le retenait. Quel sens personnel avaient ces accords – quatre ou cinq – qui se répétaient à l’identique, enfermés dans la même phrase ? Le violon les couvrait de ses vibrations mais il les distinguait malgré tout sous ce voile mélodique, attendait qu’ils s’épurent puis les retrouvait, tout simples, égaux à eux-mêmes, comme quatre petits galets blancs quand l’eau s’est retirée.
Il ferma les yeux. Les cordes s’éloignaient définitivement pour lui. Incertaines, hors des limites de l’âme : au centre, comme au milieu d’un cadre, les accords du piano vibraient seuls, souverains, sans mystère. Il les connaissait : ils lui appartenaient. Adriana les avait joués, autrefois, à D… en déchiffrant un vieux manuscrit de Violin. Chanson pour un départ - c’était son nom alors - était entrée sans modification dans la suite pour orchestre. Comment Violin l’avait-il reconstituée, lui qui l’avait oubliée depuis longtemps et ne l’avait plus jamais revue ?
C’était comme si le hasard, une fois de plus, recomposait les pièces d’un miracle qui, depuis longtemps révolu, cherchait son dénouement et le trouvait à point nommé dans cette soirée de concert. Violin, qui avait traversé en étranger la vie d’Adriana, apportait encore, sans le vouloir peut-être, ce dernier message.
Roman inédit de Mihaïl Sebastian
Les éditions Mercure de France inscrivent, sur leur beau catalogue, La ville aux acacias de Mihail Sebastian, édité en 1936 et disponible depuis octobre 2020 en France, qui rejoint « l’accident » paru en 2002. Auteur encore insuffisamment connu, au destin tragique, à la fois écrivain, journaliste, dramaturge, de culture juive il survécut à la seconde guerre en Roumanie, mais fut écrasé par un camion russe en 1945, à seulement 38 ans. Ses œuvres sont rares et il ne faut pas bouder son plaisir avec cet inédit de grande qualité. L’avis et la critique livre.
Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L..
Synopsis :
À quinze ans, Adriana attend l’amour, bien sûr.
Ravissante adolescente, élevée au cœur de la bourgeoisie roumaine des années 1920, elle découvre ses premiers émois, d’abord pour un beau cousin, puis pour un jeune étudiant.
Mais à part un flirt de plus en plus poussé, rien n’est permis. Jusqu’au jour où la passion risque de tout emporter…
La ville aux acacias, le temps de l’éveil adolescent
Dans la province roumaine, le temps s’écoule paisiblement au rythme des saisons, avec une rivière paresseuse la Vive, qui s’est séparée en deux bras à proximité de la ville en créant une île. La ville laisse éclater le charme de ses acacias en fleurs. C’est le temps de l’éveil adolescent pour une jeunesse protégée, plongée par instants dans des langueurs, dans la mélancolie. Adriana, quinze ans, d’une grande beauté, est sous le charme de son cousin, de huit ans son aîné, Paul, et se croît amoureuse, le temps de son séjour professionnel. Dès son départ, c’est le retour à la vie étriquée, policée, de cette ville sans aspérité.
Fille unique, choyée, scolarisée au cours Notre Dame d’Avignon, elle jouit de libertés insoupçonnées. Des amitiés solides naissent avec Cécilia, Victor et Gelou. Durant l’hiver les après-midi passés en commun chez Adriana, dans sa chambre, sont répétitifs et calmes. Pendant qu’elle effectue ses gammes au piano, Cécilia étudie et Gelou lit. Bientôt l’emploi du temps s’enrichit de leçons de piano dispensés par une professeure française. Un cadeau de son père, acheté à Bucarest pour ses seize ans, va modifier progressivement cette vie.
Le cahier de musique offert, chansons à la blonde Agnès, d’un certain Cello Violin, rapidement pris en main, révèle des complexités insoupçonnées dans la façon d’être interprété. Ce n’est pas aussi futile qu’il y paraît à première vue. Invité d’honneur de la ville, qui jadis l’a rejeté, il remercie Adriana pour son interprétation publique très personnelle de son oeuvre.
Un roman plein de douceur apparente
Elle part rapidement à Bucarest aider sa tante à aménager l’appartement de son cousin Paul qui vient de se marier. Son épouse Lucrétia, originaire de D…, lui est connue pour avoir partagé les mêmes cours, sans aucune amitié entre elles. Leur seul point commun est celui d’avoir été à tour de rôle l’élève préférée de sœur Denise. Emerveillée par la vie trépidante de la ville, elle s’enivre par des sorties qui s’accroissent après avoir retrouvé Cello Violin par le plus grand des hasards, à un arrêt de bus. C’est l’emballement de la vie, des sentiments amoureux auxquels succèdent abattement, incertitudes, tristesse, doutes. Sa mission achevée il lui faut rentrer dans sa ville natale. Et l’inquiétude, le vague à l’âme, s’emparent d’elle, face à son incapacité à reconstituer les amitiés oubliées. Elle se sent encore plus seule lorsque Gelou part faire ses études d’ingénieur à Bucarest.
N’en disons pas plus sur l’amitié entre Gelou et Cello Violin, ni sur le retour d’Adriana à Bucarest. De nombreux secrets et surprises vont encore se dévoiler. Mihail Sebastian tisse un roman plein de douceur apparente où les émois et atermoiements des protagonistes sont parfaitement restitués ainsi que leurs indécisions, incertitudes et non-dits. Parmi les personnages secondaires émergent Elisabéta, un tantinet pimbêche, avec ses thés dansants, et Boutsa le marginal. Le travail de Mihail Sebastian est sublimé grâce à Florica Courriol, la traductrice. Un livre qui se délecte page après page, tant pour la beauté de la langue que pour son écriture fluide. Un pur moment de bonheur que d’avoir retrouver ce magnifique auteur roumain.