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Lorsqu’il est question du débat sur la Gestation pour autrui (GPA), il est de coutume de le résumer à une opposition entre, d’un côté, les défenseurs « progressistes » « de gauche » qui y voient une avancée dans les domaines du droit et de la liberté et, de l’autre côté, les conservateurs « de droite » qui y voient une menace contre un prétendu modèle familial traditionnel (papa – maman – bébé).
Dès lors critiquer la GPA vous range automatiquement dans le camp de la « Manif pour tous » », comme si aucune autre critique que réactionnaire n’était possible.
Ce
livre, sous-titré « Une critique féministe de la GPA », vient heureusement démontrer le contraire en proposant une critique, féministe donc, mais surtout sociale et politique de la GPA s’opposant à la fois aux discours apologistes et aux critiques types « Manif pour tous » illégitimes car étant purement idéologiques.
Il ne s’agit pas dans ce livre de remettre en cause l’envie d’être parents des commanditaires de la GPA ou de discuter de leur légitimité à être parents mais bien plutôt de dépasser ce plan personnel pour passer au plan social et politique afin d’exposer les implications qu’a la GPA sur les principales personnes concernées, à savoir les femmes (mères porteuses) et les enfants nés de GPA.
Le constat des autrices est sans appel : la GPA cause des violences à la fois médicales, psychologiques, juridiques et économiques aux femmes et enfants impliqués. Multipliant les approches – théorique, historique, politique, scientifique et linguistique – les textes du livre se rejoignent sur une conclusion : la GPA est synonyme de marchandisation et technicisation des rapports humains et, en cela, doit être abolie.
Un des intérêts du livre est d’ailleurs de souligner que l’abolition de la GPA doit être un combat féministe. En effet, une partie du mouvement LGBT et queer défend un féminisme postmoderne qui soutient la PMA et la GPA au nom de la liberté et de l’autodétermination alors que, comme le rappelle Silvia Guerini dans le livre, la reproduction artificielle de l’humain est, en réalité, "la soumission de tous à un système technoscientifique" et, en particulier, l’exploitation des femmes avant de conclure :
« Nous sommes nés, non pas fabriqués, et nous sommes nés du ventre d’une femme »
Si ce livre se donnait comme projet de répondre à la question : qu'est-ce qu'être écoféministe? Alors, pari tenu! Et de la plus belle des manières! Jeanne Burgart-Goutal réussit en effet à faire de son livre une introduction vivante et critique à l'écoféminisme, que l'on pourrait grossièrement résumer comme un mouvement d'idées et de pratiques qui considère que "l'oppression des femmes et la destruction de la planète ne sont pas deux phénomènes distincts, mais deux formes de la même violence" (Mary Judith Ress).
Vivante car l'auteur nous emmène dans son propre voyage à
la découverte de ce mouvement. Voyage d'abord théorique dans les écrits et les idées des principales autrices, qui se revendiquent ou non de l'étiquette écoféministe, depuis les débuts du mouvement dans les années 1970 jusqu'à aujourd'hui (Françoise d'Eaubonne, Maria Mies, Vandana Shiva, ...). Voyage, ensuite, sur le terrain des pratiques écoféministes dans divers lieux, en France et dans le monde, se revendiquant de l'écoféminisme.
Cette introduction est aussi critique, au sens de "faire le tri", dans la mesure où l'autrice rend bien compte de la richesse et de la complexité du mouvement, aussi bien, encore une fois, au niveau théorique que pratique. La formation philosophique de l'autrice lui permet d'appréhender cette richesse et cette complexité toujours de manière lucide et nuancée : avec pédagogie, les idées principales de l'écoféminisme sont restituées de manière claire et dans toutes leurs nuances ; les critiques externes habituellement adressées au mouvement sont décortiquées en regard des écrits fondateurs et des pratiques de terrain ; ces écrits et ces pratiques sont eux-mêmes sans cesse mis en regard et confrontés.
Finalement, si l'écoféminisme peut paraître fantaisiste à certains égards, ce qui compte, selon Jeanne Burgart-Goutal, "ce n'est pas la prétendue "scientificité" du discours mais la force symbolique, la puissance de mobilisation, la portée heuristique, l'appel de nouvelles contrées et de nouveaux imaginaires". Car le but de l'écoféminisme est bien de "changer de paradigme" pour faire advenir "un autre monde" où toutes les formes d'oppression seraient abolies.
Conclusion qui doit d'autant plus être soulignée qu'avec le revival de l'écoféminisme ces dernières années, une partie du mouvement a été récupéré par le "nouvel esprit du capitalisme" donnant naissance à un écoféminisme dépolitisé et "instagrammable". Il est donc important de rappeler qu'à l'origine, et c'est peut-être là l'aspect le plus intéressant du mouvement, l'écoféminisme s'est construit comme une critique du capitalisme patriarcal, du néo-colonialisme de l'économie globalisée et du réductionnisme de la technoscience moderne.
Qu'est-ce que la liberté ?
Avant d’aborder le livre en lui-même, il me semble intéressant d’évoquer le parcours de l’auteur. Aurélien Berlan avait déjà publié en 2012 le remarquable essai La Fabrique des Derniers Hommes (La Découverte) qui n’était autre que le texte remanié de sa thèse de philosophie. On apprend dans son nouveau livre, Terre et Liberté, que, juste après la remise de sa thèse, cet étudiant engagé, passé de l’altermondialisme à la critique de la société industrielle, veut fuir le statut de salarié-consommateur-électeur dans lequel la plupart d’entre nous s’enferme après leurs études et, pour cela, décide de prendre la clé des champs avec quelques amis pour vivre dans le Tarn. Depuis une dizaine d’années maintenant, il se partage entre activités collectives de subsistance, travaux à l’université, engagement politique et écriture de ce livre, Terre et Liberté.
La liberté, c’est ce qui semble avoir provoqué cet exode rural et le questionnement de l’auteur qui est à la base de son livre : en quoi cet exode l’a-t-il rendu plus libre ? Quelle conception de la liberté a-t-il fui ? Quelle conception de celle-ci recherchait-il ?
Engagé dans la lutte contre le désastre socio-écologique en cours, il va montrer dans ce livre que ce désastre est en grande partie la conséquence du concept de liberté dominant l’imaginaire politique depuis quelques centaines d’années maintenant et que, pour s’y opposer véritablement, il faut retrouver une autre conception de la liberté.
Pour sa démonstration, Berlan procède de manière claire et logique. Tout d’abord, il entreprend, à travers l’analyse de différents textes, la généalogie de la conception moderne de la liberté dont il souligne un paradoxe immanent. En effet, devenue dominante depuis le 18e siècle cette conception purement libérale et négative de la liberté est réduite à l’inviolabilité de la sphère privée. Seulement cette conception, qui a été théoriquement généralisée et intensifiée avec le développement de la civilisation industrielle, a été en même temps sapé par cette même civilisation et ses moteurs, à savoir : le salariat, la marchandisation, les médias de masse et aujourd’hui la révolution numérique.
Étant donné cela, qu’est-ce qui anime encore le concept moderne de liberté ?
Berlan entre là dans le cœur du livre en identifiant un autre pilier, plus fondamental, de la liberté moderne : ce qu’il appelle le fantasme de délivrance. Délivrance des obligations politiques (déjà bien analysée par Hannah Arendt) mais surtout délivrance matérielle des nécessités du quotidien c’est-à-dire cette capacité à faire faire à d’autres (humains ou robots) les tâches qui caractérisent notre humaine condition (produire sa nourriture, construire son habitat, prendre soin de ses proches,…).
Un des aspects originaux du livre est d’analyser l’importance de ce fantasme dans notre conception apolitique et extraterrestre de la liberté. Car, en effet, il est au cœur aussi bien de la liberté moderne que des aspirations à l’émancipation qui ont émaillé la société depuis la révolution industrielle. Ainsi, de Saint Simon jusqu’à Mélenchon, en passant par Marx bien sûr, toute une partie, dominante, de la gauche s’est nourrie de ce fantasme, emprisonnant encore plus les populations qu’elle défendait dans le carcan capitaliste. Or cette aspiration à la délivrance matérielle a des implications simples à comprendre. Si être libre c’est « faire faire » alors, pour paraphraser Orwell, « la liberté c’est l’esclavage » et l’Histoire en témoigne. De l’antiquité à nos jours, les classes dominantes ont toujours su se décharger, à l’aide d’un pouvoir personnel puis impersonnel, des nécessités du quotidien en exploitant les classes dominées (esclaves, femmes, paysans, ouvriers,…) et en exploitant et saccageant la nature à l’aide des moyens technoscientifiques modernes.
Dès lors Berlan réhabilite avec brio une autre conception de la liberté, qu’il appelle autonomie, et qui a animé le mode de vie de classes populaires tout au long de l’Histoire (des Diggers anglais du 17e siècle au mouvement zapatiste aujourd’hui). L’auteur souligne la récupération libérale qui a été faite du terme autonomie, individualisé et dépolitisé (cf. mouvement DIY, « makers », …) pour bien distinguer sa définition de l’autonomie. La sienne est sociale et collective et s’articule sur deux plans indissociables. Le plan politique d’abord où il s’agit de reprendre en main dans des collectifs à taille humaine la prise de décision concernant les affaires communes. Mais Berlan insiste surtout sur le plan matériel de l’autonomie où là aussi la dimension collective est essentielle car, si l’autonomie suppose de « faire soi-même », elle suppose surtout de « faire avec les autres ». Plus précisément, il s’agit de « pourvoir à ses propres besoins » (qui seront auto-limités) avec « ses propres moyens » (outils simples et à taille humaine) et avec « ses propres ressources » (celles du territoire habité). L’autonomie que Berlan dessine est, selon lui, la seule voie réaliste pour se libérer (collectivement) de notre dépendance à la Mégamachine industrielle (dont les trois têtes sont l’Etat, le Capital et la Science) et stopper l’exploitation des autres et de la nature que son bon fonctionnement suppose.
Avec cet essai percutant et stimulant, Aurélien Berlan signe un ouvrage riche d’analyses permettant de mieux saisir « dans quelle sorte de monde nous vivons » (Orwell). En cela, il réussit déjà, intellectuellement parlant, à desserrer l’étau industriel : première étape avant, on ne sait jamais, de prendre la clé des champs.