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En janvier 2011, Jean-Paul Gaultier conclut son défilé de Haute-Couture en envoyant sur le podium une mariée blonde, sinueuse et diaphane - qui est en fait un homme, et l'un des tous premiers modèles à se présenter indifféremment sous un genre ou sous un autre. Ce qui aurait pu n'être qu'un geste provocateur - ou édifiant - marquait en fait le début d'une tendance qui n'ira ensuite qu'en s'affirmant, au point d'en être aujourd'hui omniprésente.
"This ad is gender neutral" (Cette pub est sans genre), proclame en 2016 une grande marque de mode (Diesel) ; "I resist definitions" (Je résiste aux définitions) affirme la seconde (Calvin Klein) ; tandis que la troisième choisit comme icône le fils d'un très célèbre acteur de Hollywood qui se flatte de s'habiller chez Miss Selfdridge's et - les ongles vernis et les yeux ombrés - porte la robe avec naturel (Louis Vuitton).
On ne compte plus les articles consacrés, dans les revues de mode, au "mélange des genres" et qui proclament avec superbe que "l'homme est une femme comme les autres". Saint Laurent, Gucci, Vuitton, Burberry, Givenchy, Dolce et Gabbana souscrivent chacun à leur manière à ce que l'on pourra considérer comme un mot d'ordre de l'époque. Les périodes de transitions entre les siècles se ressemblent : la nôtre fait écho à la précédente ; elle semble aussi obsédée d'androgynie que le fut celle de Burne-Jones et Gustave Moreau, d'Oscar Wilde et du Mage Péladan.
Mais entre la fin du XIXe et les débuts du XXIe siècle, bien d'autres incarnations du thème se sont succédées : celles du Berlin des années 20, du Hollywood des années 30 (de Garbo à Dietrich), des "Bright Young Things" anglaises des années 40, ou des chanteurs épicènes des années 70 pour ne citer que ceux-là... Autant de variations sur un thème qui connaît aujourd'hui une fortune remarquable. Qu'ont en commun ces divers visages ? Pourquoi ce précipité soudain ? Pourquoi ce retour d'un thème immémorial, dont discute déjà le Banquet de Platon ? A quoi se rattache-t-il aujourd'hui ? Qu'est ce qui nous pousse à jouer ainsi des rôles et des assignations, des signes, supposés évidents, de la différence des sexes ? Et que dit cette tendance de notre imaginaire, de la façon dont nous voyons, au sens littéral, le sexe et le genre ? Autour d'un choix d'images parmi les plus étonnantes de la photographie contemporaine, Patrick Mauriès propose ici un véritable essai de critique culturelle, esquissant une chronologie du thème à travers l'histoire de la littérature et de la peinture, afin de mieux comprendre l'une des mythologies de notre époque, et ce désir aussi brûlant que singulier d'échapper à toutes les définitions.