Face au récent succès médiatique et éditorial du livre Comment tout peut s'effondrer (Servigne et Stevens, Seuil 2015) et plus largement de la collapsologie, il est temps de relire Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable de Jaime Semprun et René Riesel (Encyclopédie des Nuisances, 2008). Car, si cet ouvrage avait été écrit ces derniers jours, il est certain que nos deux auteurs auraient consacré quelques pages bien senties pour liquider l'effondrementalisme, nouvel avatar (mêlant positivisme, développement personnel et survivalisme) d'un catastrophisme ne
pouvant mener qu'à "une régression archaïque vers des structures de pouvoir toujours plus coercitives" (formule de Bertrand Louart à retrouver dans ce petit texte critique de la collapsologie : https://sniadecki.files.wordpress.com/2019/10/louart_collapsologie-1.pdf)
Car, en 2008, les catastrophistes n'étaient pas incarnés par Servigne & co mais bien plutôt par ces fameux experts, au choix, scientifiques, politiques, économiques ou philosophiques qui soudain s'alarmaient dans moult interviews et rapports scientifiques de l'état de la planète après avoir pendant des décennies mis en œuvre l'avènement de la société industrielle et de ses nuisances. Ces-dernières, Semprun et Riesel n'ont cessé de les afficher depuis le milieu des années 1980 à travers leur activité éditoriale et leurs prises de position se faisant généralement traités de "pessimiste", "passéiste" ou même "réactionnaire" ; désormais même les pyromanes sont devenus pompiers.
Mais le propos, ici, n'était pas moins de dénoncer cette fausse conscience écologique de nos nouveaux éco-technocrates (celle-ci saute tellement aux yeux) que de mettre en lumière ce qu'ils en font. Car, au nom de la lutte pour l'environnement s'est installée une "bureaucratie verte" qui ne voit dans les catastrophes qui s'annoncent (mais qui sont en réalité déjà là) et les réactions qu'elles appellent que l'occasion de renforcer encore un peu plus la domination étatique et industrielle qui s'exerce sur les individus. Un mouvement aussi éloigné du pouvoir qu'est celui de la décroissance n'est pas en reste quant aux appels à la contrainte lancés au nom de l'écologie, ce que les auteurs ont aussi bien perçu.
Le couronnement de la collapsologie aujourd'hui vient réactiver plus que jamais les analyses si lucides de Semprun et Riesel dont on appréciera la prose si mordante.
"Notre époque, par ailleurs si attentive aux ressources qu'elle se connaît, et à l'hypothèse de leur tarissement, n'envisage jamais d'avoir recours à celles, proprement inépuisable, auxquelles la liberté pourrait donner accès ; à commencer par la liberté de penser contre les représentations dominantes. On nous opposera platement que personne n'échappe aux conditions présentes, que nous ne sommes pas différents, etc. Et certes, qui pourrait se targuer de faire autrement que de s'adapter aux nouvelles conditions, de "faire avec" des réalités matérielles aussi écrasantes, même s'il ne pousse pas l'inconscience jusqu'à s'en satisfaire à quelques réserves près ? Personne n'est en revanche obligé de s'adapter intellectuellement, c'est-à-dire d'accepter de "penser" avec les catégories et dans les termes qu'a imposés la vie administrée."
Enfer vert
Face au récent succès médiatique et éditorial du livre Comment tout peut s'effondrer (Servigne et Stevens, Seuil 2015) et plus largement de la collapsologie, il est temps de relire Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable de Jaime Semprun et René Riesel (Encyclopédie des Nuisances, 2008). Car, si cet ouvrage avait été écrit ces derniers jours, il est certain que nos deux auteurs auraient consacré quelques pages bien senties pour liquider l'effondrementalisme, nouvel avatar (mêlant positivisme, développement personnel et survivalisme) d'un catastrophisme ne pouvant mener qu'à "une régression archaïque vers des structures de pouvoir toujours plus coercitives" (formule de Bertrand Louart à retrouver dans ce petit texte critique de la collapsologie : https://sniadecki.files.wordpress.com/2019/10/louart_collapsologie-1.pdf)
Car, en 2008, les catastrophistes n'étaient pas incarnés par Servigne & co mais bien plutôt par ces fameux experts, au choix, scientifiques, politiques, économiques ou philosophiques qui soudain s'alarmaient dans moult interviews et rapports scientifiques de l'état de la planète après avoir pendant des décennies mis en œuvre l'avènement de la société industrielle et de ses nuisances. Ces-dernières, Semprun et Riesel n'ont cessé de les afficher depuis le milieu des années 1980 à travers leur activité éditoriale et leurs prises de position se faisant généralement traités de "pessimiste", "passéiste" ou même "réactionnaire" ; désormais même les pyromanes sont devenus pompiers.
Mais le propos, ici, n'était pas moins de dénoncer cette fausse conscience écologique de nos nouveaux éco-technocrates (celle-ci saute tellement aux yeux) que de mettre en lumière ce qu'ils en font. Car, au nom de la lutte pour l'environnement s'est installée une "bureaucratie verte" qui ne voit dans les catastrophes qui s'annoncent (mais qui sont en réalité déjà là) et les réactions qu'elles appellent que l'occasion de renforcer encore un peu plus la domination étatique et industrielle qui s'exerce sur les individus. Un mouvement aussi éloigné du pouvoir qu'est celui de la décroissance n'est pas en reste quant aux appels à la contrainte lancés au nom de l'écologie, ce que les auteurs ont aussi bien perçu.
Le couronnement de la collapsologie aujourd'hui vient réactiver plus que jamais les analyses si lucides de Semprun et Riesel dont on appréciera la prose si mordante.
"Notre époque, par ailleurs si attentive aux ressources qu'elle se connaît, et à l'hypothèse de leur tarissement, n'envisage jamais d'avoir recours à celles, proprement inépuisable, auxquelles la liberté pourrait donner accès ; à commencer par la liberté de penser contre les représentations dominantes. On nous opposera platement que personne n'échappe aux conditions présentes, que nous ne sommes pas différents, etc. Et certes, qui pourrait se targuer de faire autrement que de s'adapter aux nouvelles conditions, de "faire avec" des réalités matérielles aussi écrasantes, même s'il ne pousse pas l'inconscience jusqu'à s'en satisfaire à quelques réserves près ? Personne n'est en revanche obligé de s'adapter intellectuellement, c'est-à-dire d'accepter de "penser" avec les catégories et dans les termes qu'a imposés la vie administrée."