Ces derniers mois, dans les rayons écologie des librairies, nous avions le triste choix entre Bill Gates (quel toupet !) ou le dernier charabia de Latour ou d’un de ses rejetons. Heureusement, Thierry Ribault vient relever le niveau avec un essai remarquable d’intelligence dans son projet de critiquer une notion ayant pénétrée, depuis quelques années, le domaine de l’écologie (après celui de la psychologie) à savoir : la résilience, que l’on pourrait grossièrement définir comme la capacité à surmonter un choc traumatique (dans le cas d’une personne) ou à retrouver une état
d’équilibre après un événement exceptionnel (dans le cas d’un écosystème).
Mais Contre la résilience est d’abord un livre sur le désastre de Fukushima auquel l’auteur s’intéresse depuis 10 ans et qui fournit un contexte de départ pour sa critique de la résilience. Dans la continuité de son précédent livre Les Sanctuaires de l’abîme (écrit avec sa compagne Nadine et publié en 2012 aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances), cet essai rend compte longuement de toutes les facettes de la gestion du désastre qui a suivi la catastrophe nucléaire et qui se poursuit aujourd’hui. Une de ces facettes est la résilience mobilisée par les administrateurs du désastre (qu’ils soient des institutions publiques ou citoyennes) pour enjoindre la population à s’accommoder d’un monde contaminé, individualisant par-là les solutions à un problème en réalité impossible à résoudre. En effet, la radioactivité n’étant pas prête à disparaître du jour au lendemain, chacun est exhorté à « vivre avec » voire même à participer à sa surveillance et à la décontamination. Dans le cas de Fukushima, l’auteur dévoile aussi en quoi la résilience est soutenue par une « production d’ignorance organisée » consistant, non pas à cacher certaines connaissances, mais bien plutôt à en réduire le nombre sous prétexte d’une efficacité plus grande dans la gestion de la contamination au quotidien.
Cet essai prend de l’ampleur dès lors que l’enquête menée par l’auteur à Fukushima est doublée d’un travail théorique et critique dévoilant ce qu’est vraiment la résilience : idéologie de l’adaptation et technologie du consentement, elle est un pilier de la société industrielle dans laquelle, d’une part, les désastres passés, en cours et à venir sont sources de progrès et dans laquelle, d’autre part, les individus sont sommés de s’adapter, toujours focalisés sur les conséquences à surmonter du désastre (qu’il soit une catastrophe naturelle, un accident industriel ou encore un attentat par exemple) et, donc, ne se questionnant jamais sur les causes de ce désastre. Le danger de la résilience réside donc dans le fait que, sortant en apparence les individus de l’impuissance, elle les pousse en réalité à l’inaction.
Cet essai se veut d’autant plus intéressant que tout ce qui est décrit peut s’appliquer à la « crise sanitaire » en cours née de la pandémie du Covid-19. En effet, pendant que la résilience est convoquée à tout bout de champ dans la gestion des conséquences de cette pandémie, peu de monde (voire personne) ne s’est arrêté pour réfléchir et remédier aux causes de cette pandémie qui, dans tous les cas, semble liées au caractère industrielle de notre société.
On notera enfin le bon travail de l’auteur sur le style et l’écriture, mélange (parfois dense il faut le dire) de lucidité et d’humour grinçant, qui rappelle forcément les meilleurs ouvrages de critique sociale publiés il y a quelques années par Jaime Semprun et l’Encyclopédie des Nuisances et qui manque cruellement à une grande partie de la production contemporaine.
Un art de vivre dans un monde faux
Ces derniers mois, dans les rayons écologie des librairies, nous avions le triste choix entre Bill Gates (quel toupet !) ou le dernier charabia de Latour ou d’un de ses rejetons. Heureusement, Thierry Ribault vient relever le niveau avec un essai remarquable d’intelligence dans son projet de critiquer une notion ayant pénétrée, depuis quelques années, le domaine de l’écologie (après celui de la psychologie) à savoir : la résilience, que l’on pourrait grossièrement définir comme la capacité à surmonter un choc traumatique (dans le cas d’une personne) ou à retrouver une état d’équilibre après un événement exceptionnel (dans le cas d’un écosystème).
Mais Contre la résilience est d’abord un livre sur le désastre de Fukushima auquel l’auteur s’intéresse depuis 10 ans et qui fournit un contexte de départ pour sa critique de la résilience. Dans la continuité de son précédent livre Les Sanctuaires de l’abîme (écrit avec sa compagne Nadine et publié en 2012 aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances), cet essai rend compte longuement de toutes les facettes de la gestion du désastre qui a suivi la catastrophe nucléaire et qui se poursuit aujourd’hui. Une de ces facettes est la résilience mobilisée par les administrateurs du désastre (qu’ils soient des institutions publiques ou citoyennes) pour enjoindre la population à s’accommoder d’un monde contaminé, individualisant par-là les solutions à un problème en réalité impossible à résoudre. En effet, la radioactivité n’étant pas prête à disparaître du jour au lendemain, chacun est exhorté à « vivre avec » voire même à participer à sa surveillance et à la décontamination. Dans le cas de Fukushima, l’auteur dévoile aussi en quoi la résilience est soutenue par une « production d’ignorance organisée » consistant, non pas à cacher certaines connaissances, mais bien plutôt à en réduire le nombre sous prétexte d’une efficacité plus grande dans la gestion de la contamination au quotidien.
Cet essai prend de l’ampleur dès lors que l’enquête menée par l’auteur à Fukushima est doublée d’un travail théorique et critique dévoilant ce qu’est vraiment la résilience : idéologie de l’adaptation et technologie du consentement, elle est un pilier de la société industrielle dans laquelle, d’une part, les désastres passés, en cours et à venir sont sources de progrès et dans laquelle, d’autre part, les individus sont sommés de s’adapter, toujours focalisés sur les conséquences à surmonter du désastre (qu’il soit une catastrophe naturelle, un accident industriel ou encore un attentat par exemple) et, donc, ne se questionnant jamais sur les causes de ce désastre. Le danger de la résilience réside donc dans le fait que, sortant en apparence les individus de l’impuissance, elle les pousse en réalité à l’inaction.
Cet essai se veut d’autant plus intéressant que tout ce qui est décrit peut s’appliquer à la « crise sanitaire » en cours née de la pandémie du Covid-19. En effet, pendant que la résilience est convoquée à tout bout de champ dans la gestion des conséquences de cette pandémie, peu de monde (voire personne) ne s’est arrêté pour réfléchir et remédier aux causes de cette pandémie qui, dans tous les cas, semble liées au caractère industrielle de notre société.
On notera enfin le bon travail de l’auteur sur le style et l’écriture, mélange (parfois dense il faut le dire) de lucidité et d’humour grinçant, qui rappelle forcément les meilleurs ouvrages de critique sociale publiés il y a quelques années par Jaime Semprun et l’Encyclopédie des Nuisances et qui manque cruellement à une grande partie de la production contemporaine.