La ville invisible

Il y a les villes que nous visitons et celles que nous pensons avoir visitées, que nous pensons connaître depuis toujours. Irene Kung nous accompagne dans ces déambulations de l’esprit, parmi ces monuments qui semblent surgir de nulle part, brillant de leurs propres feux, stylisés dans une ligne pure digne de notre imaginaire. Ces images si raffinées d’Irene Kung sont l’aboutissement d’une longue recherche, qui lui a valu un succès international.
Il ne s’agit pas de reproduire la réalité : les monuments qu’elle choisit de photographier sont issus de villes et d’époques diverses, on les connaît tous mais ils semblent aussi tous appartenir à un monde onirique. Comme un voyageur s’embarque pour son tour du monde, Irene Kung arpente les villes à la recherche de traces du passé, éléments d’une mémoire vivante, monuments immortels. Toujours elle tente de saisir l’esprit du lieu afin de le transmettre, intact et pur, hors de toute contamination, loin du chaos urbain, sur son cliché photographique.
C’est un travail solitaire, fait d’attentes et de pauses, à l’écoute de ce rythme essentiel à la création de ces images. Comme l’écrit Francine Prose : « Irene Kung nous donne à voir un tel plan dans ses photos belles et mystérieuses. La ville diurne s’est transformée en cité nocturne des rêves. Les cathédrales redeviennent les palais célestes qu’elles devaient être aux yeux des fidèles qui ne savaient rien de l’architecture et de l’ingénierie.
Les monuments conservent leur identité et leur emplacement géographique, mais quittent la terre ferme pour léviter vers l’inconscient et se dépouillent des enveloppes desséchées de la culture et de la fonction pour devenir de fabuleuses abstractions. » Dans ce livre, le Flatiron de New York, le pont du Millenium de Londres, le Duomo de Milan ou le Colysée sont des apparitions du monde des fables. Et ensemble, ils dessinent le tracé d’une ville idéale, plus rêvée que vécue, que nous traversons guidés par Irene Kung, dans un monde en suspens.
Ludovico Pratesi est critique d’art au quotidien italien La Republica et conservateur. Francine Prose est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, parmi lesquels des romans, des nouvelles et des histoires pour enfants.