C'est par un hasard magique et dans une constellation précieuse d'amitiés que j'ai découvert, voici quelques années, Les Abdéritains de C.-M. Wieland, en Allemagne, moi qui ne suis pas germaniste. Klaus Leupolz, un des fondateurs des Verts, une grande figure de Biberach, comme Wieland, en a été l'instigateur. En découvrant, sur place, grâce à lui, la première traduction en français de Labaume (1802), j'ai senti que j'avais la responsabilité de ressusciter, sous une forme moderne, ce chef-d'œuvre du Siècle des Lumières. Il s'agit en effet d'un chef-d'œuvre, de portée européenne et universelle. Il n'y est question que de la vie ensemble, et sur place.
A l'époque - risible - de la décentralisation et de la mondialisation, tout se racornit autour de l'à-peu-près et de l'égoïsme le plus obtus. Le centre singe la prétendue périphérie comme la périphérie singe le pseudo-centre. Wieland lui, montre les gens entre eux, chez eux. Une petite république. Ses vanités. Ses intrigues. Ses folies. C'est là le chef-d'œuvre romanesque le plus politique de tous les temps. On y rit autant de soi-même que de tous les autres qui, eux-mêmes, font de même. Soyez-en assurés : nous sommes tous, au moins à moitié, des Abdéritains, d'éternels Abdéritains.