Ce sont les premiers mots que je prononce lorsque je rencontre le fils du colonel Kadhafi, à paris, en 2002.
Le face-à-face a lieu treize ans après l'attentat contre le DC10 UTA. Cet acte de terrorisme, le plus meurtrier commis contre des intérêts français, tue le 19 septembre 1989, cent soixante-dix civils, et parmi eux mon père, Jean Henri Denoix de Saint Marc. Les premières années, il y a tant de douleur que le seul fait de ressentir de la colère m'est impossible : ce serait être animé par une énergie. Or, à vingt-six ans, je ne suis plus dans la vie. Un deuil impossible, dix années d'enquête et de procédures... On finit par condamner les représentants d'un pays : la Libye. J'ai cru que la France allait (enfin !) réagir pour obtenir justice. Mais c'était sans compter sur la toute puissance de la raison d'État. Les relations franco-libyennes reprirent, comme s'il ne s'était rien passé. Impunité des coupables, indifférence, voire mépris de mon propre gouvernement : c'est là que la colère est montée. Et lorsqu'en 2002 j'entame le dialogue avec Saïfal al Islam Kadhafi, le fils du Guide, je m'engage, pour mon père et les cent soixante-neuf autres victimes, dans une négociation qui va aboutir à une reconnaissance et une réparation décente. Moi qui ne suis ni un politique, ni un juriste mais un fils meurtri, il me faudra naviguer entre deux États. De spectateur passif et impuissant, je deviens l'un des acteurs principaux de cette histoire éminemment complexe, aux implications à la fois politiques, diplomatiques, médiatiques... et avant tout humaines.