Passé décomposé ou La spirale d'un passé

Bernard Teperman l'a voulu ainsi pour éviter les pièges d'un passé recomposé trop souvent justificateur. Par volonté, aussi, de retrouver au sein d'un écheveau, au milieu des brumes de la mémoire, la spirale d'une vie, ses origines, sa famille, les épisodes saillants, lignes directes successives qui dessinent un itinéraire sur lequel ses petits-enfants l'interrogent... C'est ce qui, entre autres, fait tout le mérite de cet ouvrage. Résurgence d'un vécu au cœur des temps tragiques de ce siècle qui permet d'aller de l'horizon d'un homme à l'horizon de tous, de la singularité d'un destin individuel à l'aventure historique d'une génération. C'est donc un matériau pour l'histoire livré avec sincérité. Le fruit d'une mémoire qui avoue ses " blancs ", tel celui provoqué par le désarroi de l'été 1940 lorsque tout s'effrondre autour de chacun et que les repères chronologiques se dissolvent dans la confusion des événements et le crépuscule des certitudes les mieux établies. C'est aussi, en même temps, un récit qui s'inscrit à l'inverse des constructions historiques fabriquées à partir de documents surévalués ou trafiqués, cousus de travestissements négationnistes. Du voyage initiatique de l'enfant dans la Pologne amisémite de l'avant-guerre aux luttes politico-sociales et antiracistes, du Front Populaire, du quotidien du petit peuple de la Guillotière à l'émergence précoce et originale d'un collectif réduit de Résistance fonctionnant en électron libre, on découvre, au fil des jours d'une petite histoire la grandeur du siècle dont nous vivons les dernières années. Le refus du vichysme et de l'occupation y apparaît bien pour ce qu'il était intellectuellement et moralement : la résultante d'un état d'esprit anticoformiste, c'est-à-dire lucide et critique. Conspirateurs ingénieux à briser l'étau du silence. Le 28 juin 1941, ils le rompent et manifestent la présence de la Résistance : sur le toit d'un immeuble en plein centre de Lyon, deux casse-cou ont installé une machine à distribuer les tracts qui, au moment programmé, voltigeront en direction des promeneurs. Aventuriers et aventurières qui imaginent des " coups " aussi hardis que la libération de Raymond Aubrac ou bien qui se croisent en se jaugeant d'un coup d'œil à l'occasion d'une location d'appartement, où une carte du front russe mise à jour, punaisée à un mur, révèle l'un à l'autre des complices qui s'efforcent de s'ignorer.