Elevée par sa mère blanche dans la France des années 1970 et des publicités Banania, une jeune femme métisse part a la recherche de son père au Sénégal. Elle est poussée par un élan vital : celui d'une enfant obstinée de quatre ans, pétrie de littérature enfantine et d'attentes irrésolues, qui refuse de grandir tant qu'il ne l'aura pas reconnue comme sa fille. Mais une fois au Sénégal, tout la déconcerte : l'accueil que lui réserve son père, les inconnus qui forment son cercle familial, les lieux, les odeurs, les sourires et les mots...
Elle arrive en étrangère dans un pays qui n'est pas le sien. Que comprendre de ce destin fragmenté ? L'histoire intime de chacun s'inscrit-elle, comme au coeur des contes, dans un royaume lointain qu'il faut atteindre pour y trouver sa vérité ? Le style d'Amina Richard frappe par sa maîtrise, par la vivacité de son ton suscitant tour à tour émotion, colère, rire ou consternation, et par son amplitude qui invite le lecteur à littéralement respirer le texte, comme s'il partageait le souffle de la narratrice.
"L'histoire du soir est votre grand moment d'amour, ta mère y met tout son coeur de professeur, tu te régales du soin extrême qu'elle porte à l'intonation, elle te lit La Chèvre et les biquets, la chèvre blanche, avant de partir au marché, fait ses recommandations à ses trois petits biquets, ils ne doivent pas ouvrir la porte avant qu'elle ait prononcé le sésame Ouvrez biquets et foin du loup ! ni avant d'avoir reconnu sa patte blanche sous la porte, mais le loup a tout entendu et tu jubiles des pages à venir, cent fois relues, où il contrefait sa voix avant de se trahir, glissant bêtement sous la porte sa vilaine patte noire, et comme toutes les petites filles de ton âge, tu frétilles du plaisir d'avoir peur du loup pour de faux et, dans la douce chaleur de ta mère et dans sa bonne odeur, auréolée de ses cheveux blonds et de sa peau laiteuse, tu attends, toute impatiente, le coup de corne vengeur de la gentille maman chèvre qui balance à la rivière l'horrible loup, et après les rituels baisers, câlins, bonne nuit, quand ta mère quitte ta chambre, tu remontes bien comme il faut le drap jusqu'à ton menton pour ne pas avoir froid, mais au bout de tes bras, pendent deux vilaines mains noires".