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Partout et toujours présent dans le paysage grec, le sacrifice sanglant définit les conditions dans lesquelles il est licite et pieux de manger de la viande. Sans alimentation carnée, il n'y a ni société civile ni communauté politique. Si bien qu'une manière forte de renoncer au monde, c'est d'être végétarien ou encore de manger les chairs grillées ou bouillies d'une bête domestique. La broche à rôtir est politique, et le couteau partageant le corps à manger découpe l'espace civique, en même temps qu'il invente la plénitude communautaire.
C'est la faute de Prométhée. Depuis le partage de Mékonè, raconté dans Hésiode, les humains, devenus pauvres mortels, sont condamnés à la cuisine sacrificielle en même temps qu'à la vie conjugale et à la culture des céréales. Ni femme ni viande, dit l'ascète - en écho aux phantasmes de la cité masculine, quand elle voit la "race des femmes", couverte de sang, célébrer les fêtes de Déméter, en brandissant couteaux et broches.
Dans le manger carné, il y a comme un foyer commun où se croisent les figures des marches et de l'altérité. Histoires de loups en lisière de cité, quand le couteau, mauvais partageur, dévie vers la violence meurtrière de la guerre et de la tyrannie. Voyages en Scythie où le boeuf se faisant cuire lui-même raconte l'étrangeté des nomades au chariot. Récits des extrémités du monde, autour de la Table du Soleil, entre les viandes succulentes qui naissent de la Terre pour les Ethiopiens Longue-Vie et les cris de souffrance que lancent les chairs découpées des vaches du Soleil.
Analyse anthropologique qui conduit à mettre en cause la pertinence d'un modèle judéo-chrétien, hâtivement laïcisé par des sociologues convaincus que le social s'enracine dans l'esprit du sacrifice : tel est ce livre, né des travaux du Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes.