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L'homme partage cette faculté avec d'autres animaux, mais il ne serait sans doute pas vraiment humain s'il n'était doué de mémoire. De la Mnémosyne grecque, qui savait tout du passé, du présent et du futur du monde et témoignait ainsi de sa toute-puissance, aux conceptions modernes de la mémoire qui la rapportent à notre personne singulière, le parcours est sinueux et souvent surprenant. Les hypothèses philosophiques et littéraires tentent d'en saisir les mécanismes d'inscription dans l'esprit et d'en apprivoiser les pouvoirs fastes ou néfastes.
L'expérience la plus simple nous montre que les actes les plus spontanés, les conduites les plus ordinaires sont toujours déjà pleins de mémoire : loin de se borner à la fidèle conservation du passé, la mémoire conditionne la totalité de notre présence au monde. Si elle assure la continuité de notre être et nous inscrit dans une communauté que définit le partage des mêmes souvenirs, elle est aussi ce qui nous fait éprouver le poids de la durée.
La mémoire creuse l'abîme entre autrefois et aujourd'hui et, par ses failles, nous expose à l'oubli et à la perte.