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Si, en 1936, un poète désespéré par l'Europe n'avait cherché, au prix de difficultés et de souffrances incroyables, à se porter à la rencontre des Tarahumaras, mangeurs de peyotl, leur nom ne nous serait pas aussi familier, il ne serait pas devenu ce vocable évocateur de fabuleux paysages : montagnes peuplées d' " effigies naturelles " et gravées de signes magiques, ciels qui auraient inspiré leurs bleus aux peintres d'avant la Renaissance, cortèges de Rois mages apparaissent à la tombée du jour dans un " pays construit comme des pays de peinture " ; et, pour beaucoup d'entre nous, les Tarahumaras ne seraient pas ce peuple fier et intact, obsédé de philosphie, qui a su maintenir, en des danses accompagnées de miroirs, de croix, de clochettes ou de râpes, les grands rites solaires : rite du peyotl au cours duquel un mystérieux alphabet sort du foie du participant et se répand dans l'espace, rite des rois de l'Atlantide déjà bien étrangement décrit par Platon, rite sombre du Tutuguri avec son tympanon lancinant.
Artaud le Mômo
A l'âge où on s'identifie aux plus grands des suppliciés de la littérature parce qu'on a des boutons sur le front, pas de copine et que nos parents ne comprennent pas la musique qu'on écoute, à cette âge là j'ai découvert Artaud, Le grand Mômo des lettres françaises. Précisément par son voyage au pays des Tarahumaras, ce peuple du Nord du Mexique chez lequel il partit en 1936, accablé par un sentiment de vide, chercher un moyen psychologique et spirituel de survivre, de "briser la malchance" comme il l'écrit. Les textes qu'il produit relatent son initiation au peyotl, un cactus contenant des alcaloïdes hallucinogènes, utilisé par les Tarahumaras lors de séances rituelles auxquelles Artaud aurait assisté. Aurait car personne ne fut témoin de ses aventures à cheval dans les montagnes. Après tout peu importe. J'ai toujours pris ces textes comme des traces d'une expérience initiatique aux confins de la folie et de la poésie, du même calibre que Kinski dans Fitzcarraldo ou Bernanos dans la Montagne morte de la vie. Artaud raconte que des formes se dessinaient sur son passage dans la montagne, que les Tarahumaras savaient qui étaient les Rois Mages bien avant les Chrétiens, ou bien encore qu'ayant montré une image du Christ aux Tarahumaras, ils y reconnurent le saint visage. Entre documentaire ethnologique et délire total, prose et poésie, descriptions classiques et interprétations saugrenues, Artaud laisse derrière lui un livre unique et inclassable, une expérience de lecture comme il en existe peu.
Un an après son voyage au Mexique, Artaud part en Irlande avec la canne de Saint-Patrick, s'initier aux mystères des druides et de la philosophie nordique. Il sera ramené en France, de force, et interné dans divers asiles durant 9 années, survivant 2 ans de plus seulement à un régime d'électrochocs et de privations, le visage émacié et paraissant un vieillard de seulement 52 ans.