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"Eh oui, la langue a le pouvoir de raconter à notre place notre
passé, sans nul doute, mais je crains qu'elle n'ait aussi cette
emprise sur notre futur, c'est pourquoi il convient de bien
choisir la sienne. En vouant mes filles à l'anglais, je partais de
l'idée que les derniers cataclysmes vécus dans cette langue
remontaient à la peste de Londres. (Ce sont peut-être mes
lacunes en histoire qui me font dire cela, mais le fait même
que ces lacunes puissent exister prouve que j'ai raison.
Qui, de
nos jours, en parlant des catastrophes ayant secoué
l'Allemagne, penserait en premier lieu à la guerre de Trente
ans ?). En leur racontant mon histoire en anglais, je
l'arrangeais de façon qu'elle entre dans le nouvel emballage. A
présent, l'allemand suintait à travers les syllabes lisses que
j'avais forgées..." Voici trois temps forts de l'Histoire qui nous
entraînent du fond de la Poméranie de 1913 jusqu'au Berlin de
1933, puis du New York des années 50 au Nuremberg de
1946, en passant par le Saint-Pétersbourg de 1880 et le
Moscou des années 90.
Trois drames de la judéité qui se
jouent sur la scène intime des mots, des noms et des accents
refoulés.