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Les éditions Circé avaient publié au tout début du millénaire une anthologie de dix auteurs du vingtième siècle s'étant illustrés dans un genre qui n'a cessé de connaître une faveur exceptionnelle en Russie : la poésie spécialement écrite pour les enfants. Le nouveau livre élargit considérablement ce choix afin de donner une vision d'ensemble, un panorama aussi vaste que possible, allant de la fin du dix-huitième siècle, sans omettre le folklore enfantin, jusqu'à l'époque actuelle, soit près de soixante-dix poètes dont la plupart demeurent inconnus en francophonie.
La préface et les notices en fin de volume permettent par ailleurs de mieux les situer dans le contexte historique et littéraire du pays. Une place centrale revient aux années 1920 et 1930 et à l'époque du dégel, après la mort de Staline, qui connurent une efflorescence particulière de la poésie enfantine, laquelle servait notamment de refuge à des auteurs qui, tels Daniil Harms, Alexandre Vvédenski, Guenrikh Sapguir ou Oleg Grigoriev, faute de pouvoir publier leurs poèmes pour adultes, trouvaient ici le moyen d'aborder les réalités de l'époque, tant "l'univers enfantin est au coeur même des choses par sa naïveté primordiale" , où l'humour rejoint le jeu décapant du son et du sens.
On put voir en outre des poètes déjà réputés - Marina Tsvétaïéva, Ossip Mandelstam, Sergueï Essénine, Véra Inber, Vladimir Maïakovski et d'autres - participer à l'élaboration d'un continent inédit qui avait pour organisateur et architecte remarquable Samuel Marchak. La période postsoviétique, malgré certains aléas et difficultés, semble vouloir donner un nouveau souffle à la poésie pour les enfants, notamment avec un apport accru des voix féminines, présentes tout au long du vingtième siècle.
Une anthologie inattendue
Alors que la guerre fait rage en Ukraine, ce livre de 500 pages (presque, 70 auteurs, trois siècles de Krylov à nos jours, nous rappelle qu'il a existé de merveilleux poètes russes, qui sauvent l'honneur de leur pays. A goûter sans modération dans la traduction réellement virtuose de Henri Abril. Un seul exemple, "Les vieilles babouches" de Macha Roupassova :
Les vieilles babouches
Le voulait-elle
Ou non,
Babouchka, ma grand-mère,
S’est envolée pour de bon.
Peut-être n’était-elle
Qu’un papillon,
Une hirondelle ?
Maman n’en sait rien,
Elle pleure et soupire.
Elle me dit que grand-mère
Ne pourra plus revenir.
Mais moi j’ai enfilé
Ses vieilles babouches
À tout hasard.
Peut-être que Babouchka
Va passer dans le ciel,
Papillon ou hirondelle
Elle me sourira :
« Tiens, t’as encore mis
Mes vieilles babouches,
Mon p’tit chat ! »