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Tout ce que l'exil fissure peut ouvrir de nouveaux chemins. En cette année 1910, sur Ellis Island, aux portes de New York, ils sont une poignée à l'éprouver, chacun au creux de sa langue encore, comme dans le premier vêtement du monde. Il y a Donato et sa fille Emilia, les lettrés italiens, Gabor, l'homme qui veut fuir son clan, Esther, l'Arménienne épargnée qui rêve d'inventer les nouvelles tenues des libres Américaines.
Retenus un jour et une nuit sur Ellis Island, les voilà confrontés à l'épreuve de l'attente. Ensemble. Leurs routes se mêlent, se dénouent ou se lient. Mais tout dans ce temps suspendu prend une intensité qui marquera leur vie entière. Face à eux, Andrew Jónsson, New-Yorkais, père islandais, mère fière d'une ascendance qui remonte aux premiers pionniers. Dans l'objectif de son appareil, ce jeune photographe amateur tente de capter ce qui lui échappe depuis toujours, ce qui le relierait à ses ancêtres, émigrants eux aussi.
Quelque chose que sa famille riche et oublieuse n'aborde jamais. Avec lui, la ville-monde cosmopolite et ouverte à tous les progrès de ce xxe siècle qui débute. L'exil comme l'accueil exigent de la vaillance. Ceux qui partent et ceux de New York n'en manquent pas. A chacun dans cette ronde nocturne, ce tourbillon d'énergies et de sensualité, de tenter de trouver la forme de son exil, d'inventer dans son propre corps les fondations de son nouveau pays.
Et si la nuit était une langue, la seule langue universelle ?
Sublime !
"Les émigrants ne cherchent pas à conquérir des territoires. Ils cherchent à conquérir le plus profond d'eux-mêmes parce qu'il n'y a pas d'autre façon de continuer à vivre lorsqu'on quitte tout [...] Ils dérangeront le monde parce qu'ils rappelleront à chacun , par leur arrachement consenti et leur quête, que chaque vie est un poème après tout et qu'il faut connaître le manque pour que le poème sonne juste. Ce sera leur épreuve de toute une vie car lorsqu'on dérange le monde, il est difficile d'y trouver une place. Mais leur vaillance est grande [...]. Ils apportent avec eux le monde qui va, le monde qui dit que les maisons et tout ce qu'on amasse n'est bon qu'à rassurer nos existences si brèves [...]. Un monde qui sait que rien n'appartient à personne sur cette terre , sauf la vie"
Tout ce qui fait la valeur et l'intérêt du livre de Jeanne Benameur est résumé dans cet extrait. Quel beau texte !
Qualité de l'écriture remarquable : un pur régal.
Il fallait cette délicatesse, cette poésie, pour parler d'introspection. Tous les personnages, que ce soit les Italiens Donato Scarpa et sa fille Emilia, éprise de liberté, Esther, la survivante arménienne, Andrew Jonsson, le photographe new-yorkais à la recherche de ses origines islandaises, Hariklia , la pensionnaire de maison close qui n'oublie pas son île méditerranéenne...tous essaient de trouver leur voie coûte que coûte , sans jamais renoncer à leurs rêves.
Et cela passe par l'exil , directement ou indirectement.
Nous sommes en 1910, à Ellis Island, aux portes de New-York, entrée principale des immigrants qui arrivent aux Etats-Unis. Les destins se croisent, les doutes et les peurs n'épargnent personne mais la volonté est là. La vitalité aussi. L'envie de faire et d'exister passe par le corps. Pas seulement par l'esprit. Ceux qui partent est un roman "charnel". Tous les sens sont en éveil et la rencontre amoureuse y tient une place essentielle. L'art aussi : littérature, musique, peinture, photographie , danse sont autant de façons de s'exprimer et aident à dire l'indicible , en sublimant la réalité.
Un roman en prise avec l'actualité, dans lequel l'humain est remis à la bonne place : la première.