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Oui, le "Firmin" de Savage est un peu à la littérature ce que le "Ratatouille" de Disney est à la gastronomie !
Des ponts sont d'ailleurs possibles : le rat doué d'intelligence, le rat qui invente (une fiction/une recette), le rat qui veut échapper à sa condition, le rat qui peine à communiquer avec les hommes, etc.
Toutefois, la comparaison s'arrête là.
Firmin n'est pas vraiment "mignon", Firmin grignote de la littérature pour l'esprit mais il mange des cochonneries pour l'estomac (le contraire de Ratatouille).
Firmin aime un homme-libraire qui lui joue un vilain tour puis
il aime un homme-écrivain qui le respecte et meurt bizarrement.
Firmin abandonne ses congénères à leur triste sort après avoir été abandonné par eux.
Firmin n'envisage en aucune façon de "happy end".
Firmin est né dans les pages déchiquetées de "Finnegans Wake" mais Firmin reste lucide :"je suis né, j'ai dormi et j'ai tété sur la carcasse effeuillée du chef-d'œuvre le moins lu au monde" !
Ce surprenant premier roman de Sam Savage re-donne à la lecture et à l'écrit leur dimension la plus valeureuse, la plus respectueuse de celles et ceux qui les ont magnifiés et nous ont ouvert les yeux.
Firmin est un amoureux des mots et des "hommes de mots", que la passion (proprement humaine ?) n'aveugle pas.
C'est la grande force de ce petit personnage irrésistible : "j'ai examiné ces mots et ils n'ont pas dansé devant mes yeux ni ne se sont brouillés. Les rats n'ont pas de larmes. Sec et froid était le monde, merveilleux les mots. Des mots d'au revoir, d'adieu et à la prochaine".
A la prochaine, Firmin...
Quelle drôle d'histoire que ce premier roman de Yann Suty !
L'auteur lui-même, sur son site, nous avoue sa fascination pour la forme cubique, suite à une rencontre avec les oeuvres de Damien Hirst (certains des titres des chapitres ont d'ailleurs été empruntés à l'artiste), et reconnaît qu'il lui fallait construire "quelque chose" à partir de cette fascination...
Le relais passé au narrateur ("il y a toujours moyen de s'arranger avec la réalité"), à son fidèle compagnon Alexis et à leur millardaire de voisin, le "mythologique" Duke, Le Cube installe dès lors leur
relation, rythme leurs souvenirs d'enfance, scande les étapes importantes de leur vie personnelle et professionnelle. Il souligne, efface, prévient, prévoit...Perpétuellement, Le Cube rêvé par l'enfant se heurte au Cube fabriqué par l'adulte. Puis Le Cube, fruit de l'esprit de l'homme, cartésien, cherche un coeur, une âme : Il fouille le narrateur, Il cherche les vides dans son existence, s'y engouffre et le hante véritablement, peu à peu...Jusqu'à quel point ? Comment et pourquoi ce dernier se laisse-t-il envahir ?
Vous le saurez à la lecture de ce surprenant roman, original et réussi !
Cette chronique phénoménale du Los Angeles contemporain est en fait le premier roman de l'excellent James Frey.
L.A. = rêve californien = rêve américain.
Ce roman constitue le roman de ce rêve, de tous les rêves. Or, le "rêve est dans un sens, la réalité dans l'autre". C'est que la lumière des innombrables enseignes qui nimbent et la Ville et notre imaginaire est fort souvent plus crue, plus blafarde que l'image que l'on nous bricole communément.
Elles ou ils viennent à Los Angeles "pour vivre avec les anges et poursuivre leurs rêves. Elle les appelle. Elle appelle".
Rêve
de glamour et de cinéma ou rêve de famille et de quatre murs, tout le monde passe à côté de la vie dans ce foisonnant roman : le "people" sur-vit comme le clochard survit.
La réalité gagne à tous les coups, et c'est bien la seule règle : chaque chapitre s'ouvre sur des données implacables, des statistiques indiscutables qui composent l'ossature de la Ville et du roman.
Puis des dizaines de personnages emblématiques, parfois violemment incarnés, déambulent à l'intérieur et leur offrent la chair et le sang. L'os contre les liquides, la tête contre le cœur, la réalité contre le rêve, encore et toujours.
Pourquoi ? s'interroge le Vieux Joe, l'amoureux du Chablis : "parce que je veux une réponse à une p..... de question qui n'a pas de réponse".
Malgré tout, dans ce "Short-cuts" à la Altman, et parmi les nombreux destins qui donnent à la Cité des Anges et à la fiction leur souffle profond, même haletant, la contestation du réel et la réalisation du rêve coûte que coûte parviennent à se frayer un chemin. En effet, ici et là, les statistiques dérapent, devenues miscellanées de la Californie ou bric-à-brac informatif.
Bric-à-brac comme la vraie ville, la vraie vie, comme cette époustouflante fiction qui nous la confie, puissante et polyphonique, avec ses dialogues qui enflent et ses virgules à la déroute...
Le roman étranger incontournable de cette rentrée l
"Qu'est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste naturel ?"
Cette image constitue le fil rouge du dernier roman de Waberi, au travers de trois "voix" qui s'interpellent, se superposent et tendent inexorablement vers le même point de fuite.
La première voix, celle qui lance le récit, appartient à Djibril : il est né le même jour que son pays devenu indépendant, Djibouti. Employé dorénavant par une agence de renseignements américaine et résidant à Montréal, il revient, pour une courte mission, sur les terres de son enfance qu'il a quittées depuis de longues années.
"Et pourtant
on ne revient pas impunément sur les traces de son enfance".
La deuxième voix, celle qui s'interpose très vite, provient d'une prison cachée sur les îlots du Diable, au large de Djibouti.
Appel fondamentaliste récitant des hadiths et serviteur absolu du Très-Haut ?
Figure familiale, jadis abandonnée, qui réclame son dû ? Fantôme du grand-père Assod, rare témoin de tendresse ? Fantôme de Djamal, frère jumeau de Djibril, quitté très tôt, trop tôt ?
Au lecteur de gratter les écritures, d'y découvrir un autre sens, une autre enfance, une autre plaie...
C'est qu'"il est des hontes qu'on n'oublie jamais. Dans le vif du présent comme dans les volutes du passé".
"On ne revient pas impunément sur les traces de son enfance".
La troisième voix se mêle à la précédente et s'écrit au-dessus des lignes sacrées du Livre unique. Cette voix (d'entre les anges ou d'entre les démons ?) est hantée par la figure de l'écrivain Walter Benjamin, complice dans l'imaginaire familial, semble-t-il, depuis toujours. Et complice jusqu'au bout...
Un roman complexe et poétique, énigmatique et sensible, qui possède le don de délivrer ces images légendaires, "à la racine", qui vous accompagnent un long moment.
Très bonne lecture !
Septembre 1944.
La guerre, bien sûr, ses exploits, ses lâchetés...
L'amour, toujours, ses exploits, ses lâchetés...
Un témoignage sur ces années douloureuses, vécues de l'intérieur, de Béziers à Berlin, en passant par Paris.
Un témoignage, littéralement, "sur tous les fronts".
La "Guerre d'Algérie" ou plutôt, par une pirouette politique de la litote, les "événements d'Algérie".
Terrible figure de style, comme la matrice du dernier roman de Mauvignier. On y plonge au cœur du conflit, des Hommes.
Au cœur des hommes ordinaires, comme vous et moi, ni pires ni meilleurs, que la litote officielle n'a pas suffi à re-construire, à réparer tout à fait. Des hommes face à l'inhumain, des hommes qui peinent à se penser, qui peinent à se dire et à s'écrire ; des hommes face à l'indicible : "on pleure dans la nuit parce qu'un jour on est marqué à vie par des
images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même" (page 268).
Loin des manuels d'Histoire, les personnages de Mauvignier nous aident à mieux appréhender les silences fracassants de ces appelés d'Algérie (ou d'ailleurs) qui ne sont jamais vraiment revenus de leur passé et jamais vraiment entrés dans leur présent : "peut-être que ça n'a aucune importance, tout ça, cette histoire, qu'on ne sait pas ce que c'est qu'une histoire tant qu'on n'a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s'accumulent et forment les pierres d'une drôle de maison dans laquelle on s'enferme tout seul, chacun sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres ? Et moi, à ce moment-là, j'ai pensé qu'il faudrait bouger le moins possible tout le temps de sa vie pour ne pas se fabriquer du passé, comme on fait, tous les jours ; et ce passé qui fabrique des pierres, et les pierres, des murs (page 270).
Quel bouleversant prétexte littéraire, aussi, pour Mauvigner : une matière, une glaise encore très sensible que l'écrivain travaille et malaxe, jusqu'à nous livrer ce style et ce langage particuliers qui cherchent à traduire (au mieux ?)la confusion de ces hommes d'un côté, puis sa transcription dans l'écriture de l'autre.
Coup de cœur de la rentrée littéraire, sans aucun doute !
Le 10 janvier 1929, le plus illustre des personnages de B.D. voyait le jour. A l'occasion des 80 ans de Tintin, le psychanalyste Serge Tisseron nous livre la dernière édition de sa troisième étude consacrée aux personnages emblématiques des aventures du jeune reporter et surtout, dans ce cas précis, du roman familial de Hergé (première version en 1993).
De secret en secret, Tisseron nous invite à redécouvrir cette œuvre unique et complexe, par une surprenante lecture psychogénéalogique, et à assembler quelques pièces fondamentales de l'énigmatique puzzle Georges Remi.
Déroutant
d'abord, et passionnant par la suite !
La "Weird Enforcement Special Team" désigne une jolie bande de mercenaires, recrutée par la Maison Blanche, dans le but d'affronter les forces occultes et menaçantes qui infiltrent les États-Unis à l'aube du siècle dernier.
Dans ce premier tome du troisième cycle, le collectif WEST s'efface pour la première fois devant l'histoire personnelle de son chef énigmatique : l'anglais Morton Chapel. Et quelle histoire !
Au bout du compte, la tragédie familiale du protagoniste lui donne de l'épaisseur et la série en profite énormément, tant sur le plan des personnages que sur la complicité
dessinée d'un Rossi magistral !
Une série musclée qui gagne en complexité. Bravo !
Que vous appréciez ou que vous détestiez le "people" Beigbeder, son dernier roman demeure une vraie bonne surprise !
Cette quête familiale des souvenirs d'enfance, qu'il qualifie d' "enquête sur le terne, le creux, [de] voyage spéléologique au fond de la normalité bourgeoise, [de] reportage sur la banalité française" ou encore de "récit d'une demi-part supplémentaire sur la déclaration de revenus des mes parents", lève un voile complice, pudique, essentiel.
Ici, le Beigbeder de papier découvre dangereusement le "Janus" gesticulant des médias : lequel accouche de l'autre
? C'est toute la question !
Ici, plus que jamais, le masque glisse un peu, beaucoup... Passionnément.
Parfois les brötchen croquent sous la dent - H. Kant - Autrement
Le narrateur de ce récit, comptable et divorcé, emménage dans un nouveau quartier où règne l'illustre boulangerie Schwint et ses merveilleux brötchen (ou petits pains spéciaux).
Les "brötchen" sont à l'Allemagne ce que la baguette est à la France : une véritable institution !
Or, comme souvent dans la littérature d'Europe de l'Est (Hermann Kant publiait encore en RDA), il suffit d'un grain de sable pour enrayer la machine...
C'est que ces fameux brötchen se méritent, dans cette fable originale et amusante, qui se dévore comme un petit pain...
Bon appétit !